QUE RESTE-T-IL DU PACIFISME JAPONAIS ET ALLEMAND ?

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A peine sorti de la pénible période du Covid-19, avec ses séquelles psychologiques et économiques, que le monde reprend ses habitudes guerrières séculaires comme si le virus n’avait pas décimé suffisamment d’êtres humains. L’Europe et l’OTAN sont plongées dans la tourmente de la guerre russo-ukrainienne. La Chine remet sur la table ses revendications nationalistes et fait planer de nouveau le spectre de la guerre contre Taiwan avec ses sérieuses manœuvres simulant l’invasion de l’île. Le Japon et la Corée du Sud ont quotidiennement l’épée de Kim Jong-un au-dessus de leur tête. En somme, le monde pilule de foyers de tension et aucune région n’est épargnée par les conflits de basse ou de haute intensité.

             Face aux incertitudes de l’environnement international, suscitées par l’attitude belliciste de certain pays, beaucoup d’Etats se sont lancés, parfois avec frénésie, dans une nouvelle course aux armements, parmi lesquels l’Allemagne et le Japon dont la présence dans les starting-blocks ne passe pas inaperçu. La remilitarisation de ces deux pays, si elle est applaudie par une partie de la communauté internationale, éveille, tout de même, de très mauvais souvenirs. La rupture de leur pacifisme constitutionnel semble consommée et leur montée en puissance militaire est déjà amorcée.

La renaissance de l’armée nippone.

En vertu de l’article 9 de sa constitution, adoptée au lendemain de sa défaite dans la guerre du Pacifique en 1945, le Japon a renoncé à jamais à la guerre en tant que droit souverain. A ce titre, des Forces d’Autodéfense se sont substituées à l’armée impériale en 1954. Leur mission, purement défensive, a évolué avec le temps avec la participation à quelques opérations de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU.

Cependant, au vu du contexte géopolitique régional très complexe, le pacifisme nippon perd de plus en plus de sa valeur morale au sein aussi bien de la classe politique que de la population, et le pragmatisme politique prend progressivement le dessus. En effet, la région Asie-Pacifique est sous tension depuis que Xi Jinping a déclaré ouvertement, en 2019, l’intention de la Chine de reconquérir Taiwan d’ici 2049 en employant, s’il le fallait la force militaire, et depuis que Joe Biden lui a opposé la ferme intention des Etats-Unis de riposter militairement au cas où la Chine franchissait le pas. Le Japon, qui abrite plusieurs bases américaines, est pris en étau, d’autant plus que la Chine compte sur une Corée du Nord, isolée internationalement, qui a multiplié ses démonstrations de force en tirant des missiles balistiques à proximité du territoire japonais. Les récentes manœuvres navales sino-russes en mer de Chine orientale dans un espace stratégique, délimité par l’Est du Japon, le Sud de Taiwan et le Nord de la Corée du Sud, ne sont pas pour apaiser les craintes du Japon sur cette alliance tripartite (sino-russo-nord-coréenne) dont l’agressivité est montée en gamme et pourrait conduire, à moyen terme, à une guerre où le Japon serait une cible autant que Taiwan.

             La prise de conscience des capacités offensives chinoises et nord-coréennes a obligé le Japon à réviser sa doctrine de défense pour se départir de son action purement défensive se limitant à se protéger des missiles qui s’abattraient sur son territoire. Ainsi, les japonais envisagent de contre-attaquer, dans une logique toujours défensive et sans esprit de guerre préventive, en se dotant de capacités offensives comme les missiles de croisière américains Tomahawk. le Japon, qui a passé aux Etats-Unis, en 2019, une commande de 105 chasseurs F-35, développe aussi avec le Royaume-Uni, l’Italie et la Suède l’avion de combat furtif de 6ème génération dénommé « Tempest« . Pour financer cet effort de pré-guerre, le budget de défense japonais connaitra un bond sans précédent, devant passer de 1 à 2% de son PIB à l’horizon 2027, soit une soixantaine de milliards de dollars par an, ce qui n’a manqué de susciter l’indignation surtout des chinois qui gardent toujours en mémoire l’agressivité des japonais lors de la seconde guerre sino-japonaise.

             Le Japon a-t-il raison de se réarmer aussi vite pour dissuader la Chine et la Corée du Nord de l’attaquer ou, au contraire, son réarmement ne ferait que précipiter l’échéance de cette attaque ou du moins renforcer sa perspective ? Fumio Kishida n’a-t-il pas intérêt à continuer sur la voie de Shinzo Abe, adepte de la Realpolitik face à ces deux pays surarmés ? d’autant plus que, même fortement réarmé, la population japonaise vieillissante n’a certainement plus la volonté expansionniste de l’Empire nippon d’antan.

L’ascension de la Bundeswehr.

            Qualifiée d’armée parlementaire en raison du strict contrôle qu’exerce le Bundestag sur son emploi, l’armée allemande donne l’impression d’être une armée sans aucune âme guerrière. Placée sous la tutelle des États-Unis, après la seconde guerre mondiale, il est interdit à la Bundeswehr toute mission ne relevant pas de l’article V du Traité de l’Atlantique Nord. Il aurait même fallu la décision de la Cour constitutionnelle, en 2012, pour lui permettre d’intervenir sur son propre sol en cas de menaces terroristes. Autant d’interdictions, de restrictions et de formalisme qui marquent l’atonie de cette armée dénuée manifestement d’esprit de corps et faisant constamment l’objet d’une méfiance flagrante et généralisée.

            Avec l’invasion de l’Ukraine, en février 2024, on assiste subitement à un changement de paradigme. Les politiciens et les députés, toutes tendances confondues, découvrent soudainement que la Bundeswehr n’est pas au diapason avec les grandes armées occidentales en termes d’équipements et d’aguerrissement, et les langues des chefs militaires de se délier pour dire, en substance : on vous avait bien averti que nous manquons de tout !

            Prenant le taureau par les cornes, le Chancelier Olaf Scholz, après avoir qualifié l’agression russe de « changement d’époque », annonce une série de mesures et d’actions pour élever graduellement son pays au rang de puissance militaire. Mais pour parer, dans l’immédiat, aux faiblesses structurelles de l’armée allemande, il annonce la création d’un fonds spécial de cent milliards d’euros dédié à la défense. Il confirme aussi l’acquisition sur étagère de 35 avions chasseurs américains F-35. Et à la grande stupéfaction de ses alliés, notamment français et italiens, il réussit à rallier 14 pays de l’OTAN à son projet de bouclier antimissile « European Skyshield » visant à mutualiser l’achat de systèmes de défense aérienne. Devant cette manne budgétaire de la défense, le complexe militaro-industriel allemand devra fonctionner à plein régime, comme durant les entre-deux-guerres mondiales, mais cette fois-ci au vu et au su de la communauté internationale. A titre d’exemple, le groupe Rheinmetall, dont le cours en bourse a augmenté de 150 % depuis l’invasion russe de l’Ukraine, envisage de doubler son chiffre d’affaires relatives aux commandes de la Bundeswehr.

            En voulant accélérer l’ascension de la Bundeswehr, bien que l’Allemagne ne partage pas de frontière avec la Russie, Olaf Scholz n’est-il pas en train de rompre gratuitement avec une tradition pacifiste de l’Allemagne vieille de huit décennies ? En cherchant à s’adjuger tous les attributs de la puissance, n’est

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