International Criminal Court

La guerre en Ukraine : une énième mise à l’épreuve de la Cour Pénale Internationale.

La Cour pénale internationale (CPI) 2018 à Den Haag by WIKIMEDIA is licensed under CC BY-SA 4.0

D’emblée handicapée à sa naissance par la non adhésion des grandes puissances comme les Etats-Unis et la Chine, la Cour Pénale Internationale (CPI) est critiquée de tout bord. Taxé d’instrument du néocolonialisme ou encore de justice des blancs, du fait que la majorité des situations que connait la Cour ne visent que le continent noir, les pays africains, et à leur tête l’Union Africaine, n’ont pas hésité à monter au créneau pour dénoncer cette justice sélective voire raciste. Le Burundi, pour sa part, a opté pour une solution plus radicale en se retirant, le 27 octobre 2017, du statut de Rome qui a créé la CPI. Pourtant, c’est un pays africain, en l’occurrence le Sénégal, qui a donné le coup d’envoi du processus d’adoption du statut de Rome en déposant, en premier, le 2 février 1999, son instrument de ratification auprès du Secrétaire général de l’ONU. Et c’est aussi l’Afrique qui représente le groupe régional le plus important de l’Assemblée des États Parties à la Cour avec un total de 33 ratifications.

La frustration africaine est d’autant plus pénible lorsqu’on observe les sanctions infligées par Mr Trump aux responsables de la CPI, dont sa procureure de l’époque, Fatou Bensouda, pour avoir ouvert, en mars 2020, une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés commis par des soldats américains en Afghanistan lequel est membre de la CPI.

L’incompréhension africaine est encore totale, lorsque le bureau du procureur de la CPI a évoqué une raison toute simple justifiant son incompétence pour enquêter sur le génocide perpétré contre la minorité musulmane Ouïghoure dans le Xinjiang en chine : l’empire du Milieu n’est pas signataire du statut de Rome !

Et voilà que, le 17 mars 2023, et contre toute attente, la chambre criminelle de la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, pour des crimes de guerre concernant la déportation illégale en Russie d’enfants Ukrainiens. Rappelons que la Russie, au même titre que la Chine et les Etats-Unis, n’est pas membre de la CPI. Rappelons que le maître du Kremlin est également le chef d’un État membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU. Il semble que la CPI prône une justice à géométrie variable !

Les avis seront et devront être partagés sur cette démarche, pour le moins surprenante, venant de La Haye. Les optimistes soutiendront que ce mandat symbolise indubitablement une révolution dans la justice pénale internationale sensée être impartiale. Les moins optimistes souligneront l’inutilité de ce mandat et pointeront la complicité de la CPI dans la guerre psychologique menée contre Poutine pour l’amener à s’assoir à la table des négociations pour mettre fin à cette guerre qui a saigné à blanc le monde entier.

Dans cet imbroglio pénal, deux questions méritent d’être analysées : Mr Poutine peut-il être arrêté et jugé par la CPI ? Le mandat émis par la CPI contre Mr Poutine est-il légal ?

S’il est clair que le jugement du Président Russe par la CPI demeure tributaire à son improbable arrestation par un Etat Partie à la Cour à qui il rendrait visite ou à un changement de régime en Russie qui le jetterait en pâture, la légalité du mandat émis à son encontre a, en revanche, fait couler beaucoup d’encre entre ceux qui approuvent et ceux qui contestent sa légalité. Faisons le point.

Le statut de Rome prévoit les cinq cas de figure ci-dessous, pour que la Cour exerce sa compétence à l’égard des quatre crimes qu’elle est habilitée à connaitre, à savoir, les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression :

  1. er cas : En vertu de l’article 12-1 du statut de Rome, un État Partie audit statut accepte systématiquement la compétence de la CPI à l’égard des quatre crimes suscités relevant de la Cour. C’est la règle générale. Cette condition ne s’applique pas à la situation en Ukraine, la Russie et l’Ukraine n’étant pas membres de la CPI.
  2. ème cas : En vertu de l’article 13-b du statut de Rome, le Conseil de Sécurité de l’ONU, agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, peut saisir la CPI pour une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes suscités paraissent avoir été commis. Cette option a été appliquée au Soudan (Résolution 1593 du CS/ONU du 31 mars 2005) et à la Lybie (Résolution 1970 du CS/ONU du 26 février 2011) qui n’ont pas ratifié le statut de Rome, mais qui ont pourtant vu la CPI exercer sa compétence pour des crimes prétendus commis sur leurs territoires et par leurs ressortissants. Bien évidemment, saisir la CPI pour la guerre en Ukraine par le truchement du Conseil de Sécurité de l’ONU aurait été peine perdu en présence du véto russe voire chinois.
  3. ème cas : En vertu de l’article 12-2 du statut de Rome, la CPI pourrait se saisir des situations où les crimes sont commis par un ressortissant d’un État membre de la CPI sur le territoire d’un État non membre de la CPI, ainsi que les crimes commis par un ressortissant d’un État non membre de la CPI sur le territoire d’un État membre de la CPI. La situation au Bangladesh et Myanmar illustre bien ce cas de figure où des crimes relevant de la compétence de la CPI ont été commis au Bangladesh contre le peuple rohingya du Myanmar. En effet, bien que le Myanmar ne soit pas membre de la CPI, le Bangladesh, où a été perpétrée une partie des crimes contre les rohingyas du Myanmar, est un État Partie de la CPI.
  4. ème cas : En vertu de l’article 12-3 du statut de Rome, un État qui n’est pas membre de la CPI peut, par déclaration déposée auprès du Greffier de la Cour, demander à ce que celle-ci exerce sa compétence à l’égard d’un crime sur son territoire. Cette disposition a été mise en œuvre en 2003 en Côte d’Ivoire qui n’avait pas encore ratifié le statut de Rome. Par cette déclaration, le président Gbagbo a ainsi donner compétence à la CPI pour mener des enquêtes et des poursuites pour des crimes présumés dans son pays.
  5. ème cas : En vertu de l’article 14 du statut de Rome, un État Partie peut déférer au Procureur de la CPI une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et lui demander d’enquêter sur cette situation. Ça s’appelle « Renvoi d’une situation par un État Partie ». A charge à l’État Partie qui procède à ce renvoi de produire les pièces à l’appui dont il dispose.

C’est cette dernière voie (5ème) qui a été empruntée pour reconnaitre la compétence de la CPI sur la situation en Ukraine. En effet, le 28 février 2022, la Première ministre Lituanienne Ingrida Šimonytė a annoncé l’ouverture de l’enquête de la CPI par la Lituanie. Le 2 mars 2022, le Procureur de la CPI, Karim Khan, déclare avoir reçu des renvois de 39 États, lui permettant d’ouvrir une enquête en vertu de l’article 14 du statut de Rome. D’autres Etats ont rejoint ce groupe d’États Parties tels que le Japon et le Chili. Sur la base donc de ces renvois, la Chambre préliminaire II de la CPI a délivré, le 17 mars 2023, des mandats d’arrêt à l’encontre de Vladimir Poutine et de Maria Alekseïevna Lvova-Belova, commissaire russe aux droits de l’enfant, pour avoir été tous les deux impliqués directement dans des crimes de guerre concernant la déportation illégale en Russie d’enfants Ukrainiens.

En dépit des menaces russes envers la CPI, le Procureur général de l’Ukraine, Andriy Kostin, et le Greffier de la CPI, Peter Lewis, ont signé, le 23 mars 2023, un accord de coopération sur l’établissement d’un bureau de pays de la CPI en Ukraine, signe de la détermination de la Cour à faire valoir ses prérogatives contre vents et marées. Entre-temps, Mr Poutine reçoit le soutien inconditionnel de la Chine face aux accusations de la CPI. Ainsi, en marge de la visite de Xi Jinping à Moscou, le 20 mars 2023, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Wang Wenbin, a incité la CPI à respecter l’immunité de juridiction conférée aux chefs d’État par le droit international. Sauf que l’article 27 du statut de Rome est on ne peut plus clair à ce sujet. Il stipule : « Le présent statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement… ». La messe est dite

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